Comme je le disais dans mon billet de 18 mars, le traitement de l'information et les sujets prioritaires choisis par les médias sont souvent en décalage avec la réalité, car il y a un certain nombre de choses graves dont on ne parle presque jamais.
C'est le cas de la situation critique que connaît le Darfour. Hier soir, 20 mars, à la Mutualité à Paris, un grand meeting pour le Darfour était organisé par le Collectif Urgence Darfour, SOS Darfour et Bernard-Henri Lévy, de retour de cette région du monde, tout comme Laurent Fabius. L'objectif : interpeller les candidats à l'élection présidentielle française et lancer la mobilisation en faveur de la province soudanaise.
Depuis 2003, au Soudan, le plus grand pays d’Afrique, au moins 200 000 personnes sont mortes, plus de deux millions ont été déplacées, et des milliers de femmes ont été violées. En cause, une guerre civile au Darfour, dans l’Est du pays, une région grande comme la France. En cause surtout, un régime criminel qui, à grand renfort de bombardements et en s’appuyant sur des milices armées (les Janjawids), orchestre nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. En cause enfin, une communauté internationale qui tergiverse depuis trop longtemps.
Les mesures qui ont été prises pour faire cesser les massacres n’ont jusqu’à présent donné aucun résultat probant. La force interafricaine présente depuis deux ans est, par exemple, restée totalement impuissante, et pour cause : elle est insuffisante en nombre, sous-équipée et dotée d’un mandat ridiculement restrictif. Les Nations Unies ont bien « décidé », en août 2006, le déploiement d’une force d’interposition… Mais le régime soudanais – dont l’accord est nécessaire – s’y oppose.
Cette inertie de la « communauté internationale » en général et du Conseil de sécurité de l'ONU en particulier a des raisons peu reluisantes. Il n’y a pas si longtemps, la France faisait les yeux doux au régime d’Omar Al-Bachir, qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat en 1989. Les réseaux de la « Françafrique » (un certain Charles Pasqua…) et du pétrole s’y croisaient, soutenant discrètement mais efficacement la dictature. Est-ce en partie parce que les contrats de Total sont restés bloqués, que le Soudan s’en prend maintenant au régime « ami » du Tchad ? Un salutaire renversement a eu lieu, et notre diplomatie s’active désormais pour promouvoir des solutions.
Aujourd’hui, les initiatives en faveur de la paix sont freinées par le peu d’empressement des Etats-Unis, qui souhaitent rallier le Soudan à leur guerre « anti-terroriste », la frilosité de la Russie, qui lui vend des armes, et l’opposition de la Chine, qui achète 65 % de son pétrole…
Néanmoins, la détermination d’un certain nombre de personnes (société civile, diplomates internationaux, élus…) pourrait faire changer la donne, comme en témoignent plusieurs événements récents.
En février 2007, les députés du Parlement européen ont adopté une résolution sur le Darfour qui appelle à des sanctions économiques ciblées, y compris des interdictions de voyager et des gels d’actifs, et évoque un embargo pétrolier. De son coté, la Cour Pénale Internationale a délivré des mandats d’arrêt contre deux hauts responsables soudanais.
Tout récemment, le 12 mars, Jody Williams, prix Nobel de la Paix en 1997, a rédigé pour le Conseil des Droits de l’Homme un rapport accablant pour le régime soudanais. Le texte insiste notamment sur la nécessité de déployer dans le pays une « force de paix et de protection conjointe de l'ONU et l'Union africaine ». L'énumération par Mme Williams des atrocités commises au Darfour a fait vaciller certains alliés du Soudan et pourrait enfin déboucher sur des actions concrètes. Ces dernières avancées le montrent : les citoyens et les élus peuvent aussi jouer un rôle actif pour que cessent les atrocités dont s’accommodent bien souvent les « grands » de ce monde.
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Voici quelques vidéos qui permettent de saisir la gravité de la situation, avec notamment le témoignage de Laurent Fabius :
Invitée hier, mercredi 21 mars, par le Collectif Urgence Darfour à la Mutualité à Paris, Ségolène ROYAL a signé un engagement en huit points pour dénoncer « un génocide [qui] se déroule sous nos yeux dans un silence assourdissant » condamnant les exactions de la milice paramilitaire des Jejawd soutenue par le gouvernement soudanais. Se démarquant des positions jusque là réservées de la France, alors que le Royaume-Uni a déjà brandi la menace de sanctions et les Etats-Unis ont souhaité une nouvelle résolution, elle a rappelé que « comme au Rwanda, le silence est déjà une forme de complicité ». Selon l'ONU, ce conflit a déjà fait au moins 200.000 morts, essentiellement des civils, et plus de 2 millions de déplacés depuis quatre ans, ce qui atteste d'une action internationale qui se fait attendre. Aussi Ségolène Royal a proposé de faire pression sur la Chine pour dénoncer sa position solidaire à l'égard du Soudan en menaçant de boycotter les Jeux olympiques de Pékin de 2008.
Texte d'engagement en faveur du Darfour, signé par Ségolène Royal.
"Je m'engage :
1/ A agir en sorte que la France use de tout son poids auprès du Conseil de sécurité des Nations unies pour y faire adopter des résolutions au titre du chapitre VII de la Charte pour assurer la protection effective des populations du Darfour, accord du Soudan ou non.
2/ A mettre en oeuvre au niveau approprié, tant que dureront les crimes contre l'humanité, des sanctions économiques contre le Soudan : gel des avoirs, refus de visa pour les dirigeants soudanais impliqués dans les massacres, embargo sur les exportations de pétrole soudanais.
3/ A m'abstenir de recevoir en France, les membres du gouvernement de Khartoum.
4/ A mettre à la disposition de la Cour pénale internationale tous les moyens utiles à sa mission, notamment en ce qui concerne l'établissement et la conservation des preuves, la protection des victimes, des témoins et des enquêteurs.
5/ En liaison avec les États concernés, à donner mandat aux Forces françaises stationnées au Tchad et en Centrafrique de protéger effectivement les réfugiés, les personnes déplacées et les membres des organisations humanitaires opérant dans ces pays.
6/ A mettre en place les moyens d'une surveillance de l'espace aérien du Darfour et à en communiquer les informations aux États et institutions intéressés.
7/ A dénoncer avec énergie tout pays qui s'opposerait aux sanctions prises à l'encontre du Soudan fondées sur les crimes contre l'humanité commis par son gouvernement.
8/ A user de toute mon influence pour rendre possible une action européenne de protection des populations civiles du Darfour, notamment à mettre en place des corridors humanitaires."
Rédigé par : Guillaume | 26 mars 2007 à 10h04
une note intéressante à lire et commenter sur la défense européenne : http://resistances95.over-blog.com/article-10738731.html
Rédigé par : Frédéric Faravel | 07 juin 2007 à 11h08