Vendredi 11 mai, l'antenne bisontine de l'association "La vie nouvelle" a organisé un débat avec plusieurs candidats aux élections législatives des 1ère et 2ème circonscription du Doubs. Ce débat portait essentiellement sur les enjeux de l'écologie, du développement durable, de leur compatibilité avec la croissance économique et le progrès social.
Au cours de cette soirée, la question des OGM (organismes génétiquement modifiés) a été abordée et je souhaitais revenir plus longuement sur cette problématique.
Le monde vivant possède un langage commun. Comme les mots, les gènes prennent sens dans un enchaînement particulier, formant le patrimoine génétique. Un organisme génétiquement modifié (OGM) est un organisme dont le patrimoine génétique a été modifié artificiellement dans le but de créer, d’accentuer, d’atténuer ou d’éliminer certaines caractéristiques intéressantes ou indésirables.
Les applications possibles sont nombreuses. La plupart d’entre elles sont encore à l’état de recherche. Ce sont l’agriculture et l’alimentation qui concentrent l’attention. Les progrès recherchés sont l’adaptation des plantes à des conditions difficiles ou encore l’augmentation des rendements. C’est dans ces secteurs que les OGM trouvent aujourd’hui des développements commerciaux : maïs, colza, coton, soja… Les surfaces cultivées se trouvent très majoritairement sur l’ensemble du continent américain. Les pays du Sud représentent environ 40% de la superficie mondiale des cultures d’OGM, en forte progression.
Ajoutons que, face aux défis de la démographie et du développement, les biotechnologies, dont les OGM, sont l’une des pistes à explorer sans tabou pour la mise au point d’une agriculture moins polluante et moins consommatrice de ressources rares.
Le mode d’évaluation des risques fait débat. Les procédures ne sont pas homogènes et les tests de toxicité et d’allergénicité utilisés ne sont pas toujours aboutis. Il est donc difficile, pour la communauté scientifique, de « dire » les risques alimentaires encourus.
Sur le plan environnemental, les OGM peuvent représenter un danger pour la biodiversité. Par dissémination, les plantes améliorées peuvent dominer et faire disparaître leurs équivalents dans la nature. Des résistances aux pesticides et herbicides peuvent apparaître. Se pose également le problème de la coexistence de l’agriculture biologique avec des cultures OGM, car les champs ne sont pas des milieux confinés.
La Commission européenne décida en 1998 d’appliquer un moratoire, levé en 2004, la nouvelle réglementation imposant des normes d’étiquetage et de traçabilité pour les produits contenant plus de 0,9% d’OGM. La France est aujourd'hui menacée de condamnation européenne, le gouvernement n'ayant pas transcrit la nouvelle directive. Dans notre pays, il est légalement possible de se procurer des semences de maïs transgénique, mais les sociétés semencières ont préféré arrêter la commercialisation, devant l’hostilité des consommateurs.
En 1998 s’est tenue une conférence de citoyens sur les OGM, inspirée des expériences scandinaves de démocratie participative. Depuis cette date, les nombreux arrachages ont relancé le débat et crispé les positions « pro » et « anti » OGM.
Il est nécessaire de distinguer le débat scientifique du débat économique. Le premier met en scène des chercheurs, des associations, des citoyens et des décideurs publics. Aux extrêmes, on trouve les promoteurs d’une technique présentée comme miraculeuse et les opposants à l’idée de transgression des barrières entre les espèces. Ce conflit ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui agite actuellement le monde des nanotechnologies.
Légitimement, les citoyens s’interrogent. Le risque n’est pas prouvé, mais il est impossible de conclure à l’absence de risque, notamment sur le long terme. Dans le même temps, le pouvoir de la science soulève des questions éthiques et plusieurs crises, au cours des dernières décennies, ont suscité une méfiance envers les savants. Tchernobyl, la vache folle, l’amiante, le Vioxx : en cause, le manque de transparence, l’absence de limites à la manipulation du vivant et de la matière... La réponse politique est la mise en œuvre du « principe de précaution ».
Parallèlement à la controverse sur l’objet scientifique que constituent les OGM, sont soulevées des questions fondamentales de nature économique. En ligne de mire, la question de la propriété intellectuelle et des brevets. Les récoltes issues d’OGM n’étant pas utilisables pour planter l’année suivante, les agriculteurs doivent racheter les semences, protégées par des brevets, dont le prix est fixé par les multinationales propriétaires. Le potentiel pour les multinationales est gigantesque, puisqu’à terme ce sont près de 1,3 milliards d’agriculteurs dans le monde qui pourraient avoir besoin de racheter chaque année une provision de semences. A l’échelle d’un pays, cela signifie la disparition de l’autonomie alimentaire.
Pour faire face à ces enjeux, des solutions existent. Les pouvoirs publics doivent prendre acte des perspectives offertes par la recherche sur les biotechnologies. Mais ils doivent également fixer les limites de ce qui est acceptable pour la société, en organisant le dialogue entre science et citoyens :
- Pour dépassionner la controverse parfois violente sur les OGM et sur d’autres questions scientifiques, des phases de débat public sont nécessaires. Les pouvoirs publics doivent également garantir la transparence et l’indépendance des expertises.
- Compte tenu des applications potentielles, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la connaissance en matière de biotechnologies. L’Union européenne accumule un retard considérable dans ce domaine. Nous devons d’abord rétablir les budgets de la recherche publique. Des précautions sont évidemment nécessaires. En l’état actuel, des manipulations en milieu confiné s’impose, car le gouvernement n’offre pas les garanties suffisantes. Mais à l’avenir, nous ne devons pas refuser d’étudier au cas par cas la possibilité d’expérimentations en extérieur, sous le contrôle de commission de spécialistes.
- La France doit promouvoir un droit international de la propriété intellectuelle qui s’oppose au brevetage du vivant et protège les agriculteurs de la prédation des grandes firmes semencières. Dans le même temps, notre pays doit s’engager dans le co-développement et soutenir une réforme de la politique agricole commune pour favoriser l’autonomie alimentaire des pays en développement.
- Nous devons garantir la coexistence de plusieurs types d’agriculture. L’Union européenne doit imposer des mesures telles que des distances de séparation entre les parcelles et la protection des agriculteurs en cas de « contamination » de leurs champs. En parallèle, la France doit encourager le développement de l’agriculture biologique et des filières courtes entre producteurs en consommateurs à travers des incitations fiscales et des subventions ciblées.
Commentaires