Depuis plusieurs mois déjà, les professionnels de la petite enfance se mobilisent dans toute la France, et notamment dans le Doubs, dans le mouvement "Pas de bébé à la consigne", refusant l'assouplissement déraisonnable des conditions d'accueil des enfants en crèche.
J'ai souhaité interpeller directement Nadine Morano, Secrétaire d'Etat chargée de la Famille et de la Solidarité, qui est à l'origine du décret paru le 8 juin dernier.
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Madame la Ministre,
Le décret du 8 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans est pour moi, Conseillère générale du Doubs, l’occasion de vous faire part de mon incompréhension et de ma désapprobation face à la politique que vous portez en matière de petite enfance.
Ce désaccord porte sur le fond, mais également sur la forme.
L’absence de concertation est en effet réellement choquante. D’une part, les professionnels de la petite enfance méritent un minimum de considération lorsque leur domaine de compétences est réformé. D’autre part, il est dommageable pour le public visé par cette réforme, les enfants de moins de six ans, que vous n’ayez pas bénéficié davantage de l’expertise de ceux qui travaillent avec et pour eux au quotidien.
A cet égard, les professionnels de la petite enfance de mon département étaient mobilisés dans le collectif « Pas de bébés à la consigne ». En réaction à l’attitude unilatérale du Gouvernement et au contenu de la réforme, ils ont fait un important travail d’explication et ont mobilisé largement et de manière régulière.
Leur message, et je m’y associe, souligne les conséquences aggravantes du décret en matière de mode de garde collectif.
Si le département du Doubs est principalement rural, le canton de Besançon-Planoise, dont je suis élue, est urbain. La population dans le quartier principal (20 000 habitants) y est à la fois très jeune, le tiers a moins de 20 ans, et particulièrement défavorisée, 30 % des ménages se situent en-dessous du seuil de pauvreté. De plus, 20 % des familles sont monoparentales.
Certes, la demande de places pour les gardes d’enfants est forte. Mais cette demande est surtout sociale et de qualité car il s’agit en premier lieu, pour les parents, d’avoir accès à cette offre de garde, et en second lieu, pour les enfants, d’avoir un service d’éveil de qualité. Cette configuration socio-territoriale se vérifie sur de nombreux endroits du territoire national.
Or, bien loin de répondre à la carence des offres de garde et d’améliorer la qualité d’accueil, votre décret bouleverse véritablement le service public de la petite enfance.
Ainsi, le nombre d’enfants accueillis en surnombre est augmenté : jusqu’à 20 % dans les structures de plus de 40 places, 15 % pour les crèches de plus de 20 places, 10 % pour les lieux d’accueil jusqu’à 20 places. De même, le texte prévoit un abaissement de 50 % à 40 % de l’effectif du seuil minimum des personnels qualifiés.
Dans mon canton où les habitants n’ont pas attendu la crise pour être dans une grande difficulté, ce type de décision est lourd de conséquences.
Dégrader les conditions d’accueil, c’est pénaliser ces enfants qui comptent parmi ceux les plus en difficulté, dont les familles sont les plus pauvres du département, souvent d’origine étrangère. Que la collectivité retire à ce quartier et à ses jeunes des moyens éducatifs est non seulement une injustice mais aussi une erreur politique.
En effet, que deviendront-ils si dès le départ, on ne met pas un maximum de chances de leur côté ? N’est-ce pas notre mission à tous, éducateurs, enseignants, élus, collectivités que de leur donner les moyens de construire leur vie et de participer à la vie collective, en compensant au maximum les inégalités de départ ? Les moyens éducatifs doivent être d’autant plus grands que la crise se développe et que les familles sont dans la difficulté. C’est vrai aussi pour l’ensemble de notre pays. Comment penser que la Nation se relèvera avec des jeunes moins bien éduqués ?
Pour les politiques que nous sommes, et au regard de la responsabilité qui nous incombe, il n’est pas seulement question de faire garder des enfants. Il s’agit également d’apporter une réponse forte à la revendication essentielle de parité hommes/femmes, au souci légitime de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Mais surtout, il convient de promouvoir une politique d’égalité des chances dès le plus jeune âge, par une socialisation la plus précoce possible et en privilégiant la dimension éducative.
Barbara Romagnan
Conseillère générale du Doubs
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