Je me permets de diffuser ce texte écrit par un ami au sujet du match France-Tunisie, durant lequel la Marseillaise a été sifflée. Je trouve ce texte intelligent. Qu'on le partage ou pas, il présente l'intérêt de nous faire réfléchir un peu au-delà des réponses spontanées et convenues.
"Lors du match France –Tunisie, la marseillaise a été huée par une bonne partie du public du stade de France. Cela s’était déjà passé de la même manière lors d’un match France – Algérie et d’un match France – Maroc. Bien entendu, il ne faut pas tolérer que notre hymne national soit traité de cette façon si indigne et si honteuse. Toutefois, une fois que l’on a affirmé cela, on n’est pas plus avancé. A moins de prendre des mesures radicales comme l’a suggéré le premier ministre François Fillon.
Quoiqu’il en soit, cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger profondément sur la signification d’un tel rejet de la part de ces jeunes français (bien que d’origine maghrébine). On devine le degré de provocation voulu par ses auteurs qui savent que la télé est là pour relayer leur acte révoltant et révolté à la fois. Alors essayons de comprendre le message qu’ils tentent de nous faire parvenir. Non pas pour excuser ou justifier une telle attitude, mais pour comprendre le cheminement et éventuellement trouver une réponse adéquate qui ne les fasse pas passer précipitamment pour des « anti-français ».
Il faut savoir que tous ces jeunes n’aspirent qu’à une chose au fond d’eux-mêmes : être traité en tant que Français à part entière, et non en tant que « Français à part » . Et cette demande, ils ne cessent de la prouver par toute sorte d’attitude y compris le rejet. Il y a ceux qui le demandent en réussissant leurs études à coups de sacrifices individuels et familiaux. Il y a ceux qui souffrent en silence dans des cités de relégation. Il y a ceux qui le réclament haut et fort en cassant, en affrontant quotidiennement les policiers, voire même en agressant sans raison les ambulanciers et les pompiers qui pourtant n’interviennent que pour leur venir en aide.
Mais, si l’on est en droit de nous émouvoir devant un tel affront fait au plus haut des symboles de la nation, encore faut-il que nous nous émouvions aussi lorsque d’autres valeurs sont piétinées, non pas par ces jeunes cette fois-ci, mais par nous autres. Tout se passe comme si nous étions insensibles à la situation tragique de ces jeunes de nos cités, et que leur appel au secours ne nous atteint que lorsqu’ils brûlent des voitures (leurs voitures), des écoles (leurs écoles), des équipements culturels et sportifs qui leur servent quotidiennement pour échapper quelques heurs par jour à une vie désoeuvrée et monotone.
Nos prisons sont remplies de ces jeunes, et nous ne nous interrogeons nullement sur cette hécatombe. Au contraire, il en est parmi nous qui réclament à cor et à cri que l’on y entasse encore des plus jeunes, dès ceux à peine sortis d’une enfance souvent misérable. Chacun sait le taux de chômage dans les cités et les quartiers dits sensibles (comme si les autres quartiers ne l’étaient pas !). Chacun sait que la discrimination frappe violemment ces populations. Et qu’elle frappe encore plus celles et ceux qui se sont sacrifiés pour obtenir un diplôme, et qui se retrouvent obliger d’aller les monnayer ailleurs qu’en France.
Eh oui, il faut croire que nous supportons très bien la souffrance de ces jeunes. Il y a comme quelque chose d’indécent à éprouver un haut-le-coeur parce qu’ils portent atteinte à notre francité à travers leur sifflement. Mais nous, nous autres adultes, en leur refusant quotidiennement l’accès égal au logement et à l’emploi, en leur refusant l’égal accès aux loisirs, ne portons-nous pas atteinte à leur francité, à cette même francité, au risque de les renvoyer vers d’autres identités plus ou moins fondamentalistes, plus ou moins violentes, mais qui ne seront jamais que des chimères d’identité ?"
Mustapha Kharmoudi
Ecrivain
Besançon, le 15 octobre 2008
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