Vous trouverez ci-dessous le texte de l'interview que j'ai donnée à Thomas Comte, journaliste à La Presse Bisontine (édition de décembre 2008)
La Presse Bisontine : Vous êtes conseillère générale socialiste du canton Besançon-Planoise. Comment vous sentez-vous dans cette nouvelle fonction ?
Barbara Romagnan : Le rôle d’élue m’intéresse. Comme le Conseil général a des compétences sociales, j’ai le sentiment d’être utile à la population. C’est nous qui versons le R.M.I. Cette ressource financière est une question de survie pour certains habitants. Sans l’action de notre collectivité, la situation serait très difficile pour les personnes les plus fragiles. La cantine pour tous est aussi un programme auquel je tiens. C’est un enjeu éducatif. Si un enfant ne mange pas correctement, il ne peut pas travailler dans de bonnes conditions. Il n’y a aucune raison que des enfants subissent à l’école le fait que leurs parents soient pauvres.
L.P.B. : Quels sont les rapports au sein de l’assemblée départementale entre la jeune trentenaire que vous êtes et les conseillers les plus anciens ?
B.R. : Il y a des intérêts partout. Ce que j’apprécie au Conseil général, c’est que la quasi-totalité de mes collègues sont soucieux de faire le travail de conseiller général. Ils sont sérieux et occupent leur canton. Pour moi qui ai des choses à apprendre, ce comportement est une ressource. Il n’y a pas dans cette assemblée un mélange de prétentieux et de démagos, en tout cas s’il existe, je ne le perçois pas.
L.P.B. : Besançon-Planoise est un canton populaire et cosmopolite. Est-ce un atout ou une faiblesse ?
B.R. : C’est le canton le plus jeune et le plus pauvre du département. 40 % de l’allocation parent isolé (A.P.I.) est versée au quartier de Planoise qui ne représente pourtant que 17 % de la population bisontine. Ce chiffre en dit long sur les difficultés de ce territoire. Toutefois, sa richesse est la jeunesse qui est porteuse d’un véritable potentiel.
L.P.B. : La crise financière actuelle a-t-elle des effets perceptibles sur ce canton ?
B.R. : Le marché de l’emploi est plus tendu aujourd’hui. Quand la conjoncture se durcit, les effets sont encore pires sur Planoise, un quartier qui est déjà confronté à un certain nombre de difficultés. Ici, le chômage touche surtout les jeunes. Ajoutons à cela que lorsque vous avez un nom issu de l’immigration, vous n’augmentez pas vos chances de trouver un travail. Cependant, je suis toujours assez surprise du calme relatif qui règne dans nos quartiers les plus populaires alors qu’il y a des gens pour qui la situation va s’aggraver avec la crise. En France, 7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, et autant sont guettées par ce risque.
L.P.B. : Appauvrissement des uns, enrichissement des autres, c’est une conséquence du dysfonctionnement actuel du système capitaliste ?
B.R. : Quand une entreprise réalise des bénéfices, les salariés n’y sont pas pour rien. Le problème est que l’on décide toujours du partage de la richesse en faveur des actionnaires au détriment des salariés. Ce qui me gène dans le système actuel, c’est que la richesse ne sert pas non plus à l’investissement. Cela n’est pas tolérable. Je ne suis pas contre l’actionnariat, mais il me semblerait intéressant qu’en France, les législateurs proposent de limiter le revenu des actionnaires afin que le reste des bénéfices puisse servir à soutenir l’investissement dans la recherche par exemple. Car le système tel qu’il est conçu a un impact sur le réseau des petites et moyennes entreprises sous-traitantes de grands groupes qui sont aux mains des actionnaires. Si les majors n’investissent pas ou peu dans l’innovation, c’est tout le tissu de P.M.E.- P.M.I. qui perd en puissance et en compétitivité.
L.P.B. : L’État dispose-t-il d’une marge de manœuvre pour réglementer la redistribution des bénéfices ?
B.R. : La puissance publique doit avoir son mot à dire avec la mise en place d’un régime de taxation propre à tous ceux qui font de la spéculation un métier. Actuellement, les fonds de pensions (N.D.L.R. : institutions financières qui collectent des cotisations d’épargne-retraite en provenance des particuliers ou des entreprises en garantissant en contrepartie le versement d’un capital) sont des rouages de l’économie. Peu importe qu’il faille affamer un pays en spéculant sur les denrées alimentaires, du moment que cela rapporte de l’argent… À mon sens, il est temps de rendre coûteux ce genre de procédé pour ceux qui les exploitent.
L.P.B. : Que faut-il changer d’après vous pour rendre le modèle économique plus équitable ?
B.R. : Le système favorise l’actionnariat. C’est ce qu’il faut changer. Un client doit pouvoir décider de ce à quoi sert son argent quand il le place dans une banque. Il y a une véritable urgence à ce que soit créé un pôle public financier. Je suis favorable à la nationalisation de certaines banques. Ce serait le moyen d’orienter l’investissement dans des secteurs en adéquation, par exemple, avec le Grenelle de l’environnement.
L.P.B. : Entre les Régions, les Départements, les Communautés d’Agglomération, les Pays, les mairies, l’organisation des collectivités territoriales en France mériterait peut-être aussi d’être modernisé et simplifié ?
B.R. : Il y a une véritable lourdeur née de la superposition des collectivités, qui coûte de l’argent et pose en plus un problème de lisibilité. Les citoyens ne savent pas qui s’occupe de quoi. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à des regroupements. Prenons l’exemple de toutes ces structures qu’on inaugure comme les équipements sportifs. Il y a toujours au moins trois partenaires engagés sur ces dossiers dont la mairie, le Conseil général et le Conseil régional. Résultat, on perd du temps dans l’examen des dossiers, et de l’argent. N’est-il pas possible de clarifier les attributions de chacun ?
L.P.B. : Comment réagissez-vous à l’idée que les Conseils généraux puissent être supprimés ?
B.R. : Ce qui me dérange dans l’idée de restructurer les Conseils généraux, c’est qu’elle donne le sentiment que le seul objectif visé est de réduire les coûts sans se soucier de la qualité du service rendu.
L.P.B. : Vous êtes à la tête d’un canton urbain qui englobe Planoise. La gestion du quartier est du ressort de la compétence de la Ville. N’y a-t-il pas dans ce cas redondance dans l’action des collectivités sur ce territoire. Finalement, ce canton ne pourrait-il pas être supprimé ?
B.R. : Il faut raisonner au cas par cas. Nous sommes six conseillers généraux à Besançon. La présence de ces six élus n’est peut-être pas justifiée même si on relaie sur le terrain les politiques du Conseil général qui ont un effet sur la ville, qu’il s’agisse de notre implication dans le développement des cantines scolaires ou dans le versement du R.M.I. Toutefois, la municipalité a des marges de manœuvre plus importantes que les nôtres pour agir sur son territoire. À mon avis, on peut imaginer fondre les compétences quand le conseiller général intervient dans le périmètre d’une ville ou d’une communauté d’agglomération.
En revanche, en milieu rural, il est nécessaire de maintenir la présence du conseiller général. Si on ne constitue que des communautés de communes, les élus n’auront jamais les moyens de travailler. Il est important que les maires en milieu rural aient un interlocuteur qui porte leur voix à un plus haut niveau.
L.P.B. : Comment jugez-vous l’implication de la Ville de Besançon dans le quartier de Planoise ?
B.R. : L’implication de la Ville est forte. Cela se voit dans les équipements de quartiers. Il y a un théâtre, une zone franche urbaine qui est là. La municipalité fait beaucoup pour le cadre de vie. Mais là où ça pêche, sur un quartier comme Planoise, c’est quand à l’échelle nationale on décide de réduire la présence policière. Je prends un exemple très simple : chaque soir en été, nous assistons au ballet des scooters dans Planoise. C’est une question de sécurité et de tranquillité. Si les jeunes en faisaient autant au centre-ville, le problème serait vite réglé. Ici, il y a une forme de tolérance liée à une présence policière insuffisante. Ajoutons à cela que le commissariat est “caché”, ce qui donne probablement le sentiment à quelques-uns qu’ils sont les rois dans le quartier. À des descentes de police ponctuelles, je préférerais une présence permanente, affirmée, de policiers pour instaurer un climat de confiance. Ce rapport de proximité serait important tant pour les policiers qui pourraient prendre le temps de connaître les habitants, que pour la population de Planoise. C’est une politique de bien-être qui fait défaut. On met les policiers dans des positions impopulaires alors qu’ils n’ont pas les moyens de faire leur travail.
L.P.B. : Militante socialiste, vous étiez élue à Lyon avant d’arriver à Besançon. Votre avenir politique est dans cette ville ou ailleurs ?
B.R. : J’ai passé une partie de mon enfance en Algérie avant de rejoindre la Haute-Savoie. Lyon est la ville de mes études. Comme ancienne militante politique, je suis arrivée à Besançon pour des raisons personnelles. Je n’ai pas l’intention de quitter cette ville. Quand on fait de la politique, il faut éviter de changer d’endroit sans arrêt.
L.P.B. : Qu’est-ce qui vous séduit à Besançon ?
B.R. : Il y a quelque chose de saisissant dans cette ville. C’est la ville des inventeurs sociaux avec Fourier, Proudhon, Hugo pour ne citer que ceux-là. Pour ma part, je connaissais Besançon par les conflits de Lip. Peu de villes en France ont un tel passé social. C’est une richesse exceptionnelle. C’est dans cette direction “sociale” qu’il faudrait continuer à travailler, car c’est cela qui nous distingue des autres villes et pas seulement le patrimoine bâti.
L.P.B. : Vous êtes professeur de philosophie. La philosophie n’est-elle pas la grande absente de la politique ?
B.R. : Les politiques et la politique sont empreints d’économie et rarement de philosophie. C’est un de nos problèmes. L’action manque de sens et de direction. Pourquoi on agit ainsi, au nom de quoi ? Où va-t-on ? On ne répond pas suffisamment à ces questions avant d’agir en politique. C’est un problème de culture. Mais le système est tel que nous l’avons fait. Or, les gens n’ont pas seulement besoin d’argent et de réalisation matérielle. La politique, ce n’est pas seulement investir dans des bâtiments, “des trucs” qui portent un nom, qu’on inaugure, histoire de laisser une trace de son passage. Il faut donner du sens à tout cela en sachant à quoi tout cela sert.
L.P.B. : Vous maintenez vos critiques à l’égard de Claude Jeannerot, président du Conseil général et désormais sénateur pour ce cumul de mandat ?
B.R. : Oui, ce cumul me gêne, et Claude Jeannerot le sait. Mais je ne me trompe pas de combat. Je préfère un sénateur-président de Conseil général du Doubs qui propose une alternative par des politiques locales sociales, qu’un cumulard sénateur, issu des rangs de l’U.M.P., avec tout le respect que je dois aux élus de ce parti, qui vote les lois de Nicolas Sarkozy.
Propos recueillis par T.C.
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