Depuis le 25 mai, se tient à l’Assemblée nationale le débat sur la réforme territoriale. Le projet de loi a déjà été adopté par le Sénat, il sera soumis au vote des députés le 8 juin. Le texte est complexe, mais les enjeux n’en sont pas moins cruciaux, c’est pourquoi cette note est un peu plus longue que les autres…
— — — — —
Dès 1982, l’Etat s’est progressivement dessaisi d’un certain nombre de prérogatives au profit de collectivités territoriales et autres structures intercommunales, pensant qu’elles seraient mieux exercées plus près des citoyens et répondraient mieux aux besoins d’organisation et de gestion des territoires.
Aujourd’hui presque toutes les familles politiques reconnaissent que la nouvelle organisation pose un certain nombre de problèmes qui rend la situation peu lisible pour le citoyen : empilement des structures qui multiplie les niveaux de décision, enchevêtrement des compétences, financements croisés, insuffisance démocratique…
Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy et le Gouvernement proposent une réforme qui est loin de répondre aux interrogations. Par certains aspects, elle apparaît surtout comme une manœuvre politicienne dirigée contre les forces de gauche qui détiennent l’essentiel du pouvoir territorial. Et, loin de s’attaquer au problème de l’empilement des structures, il en rajoute de nouvelles.
Contexte
Cette réforme, initiée par la publication du rapport Balladur (« Il est temps de décider »), se présente sous la forme de 4 projets de loi déposés le même jour le 21 octobre 2009 : « projet de loi de réforme des collectivités territoriales », « projet de loi relatif à la concomitance des renouvellement des conseils généraux et des conseils régionaux » adopté, « projet de loi organique relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des EPCI », « projet de loi relatif à l’élection des conseillers et renforcement de la démocratie locale ». Le projet de loi a été adopté par le Sénat. A l’Assemblée nationale, la discussion a débuté le 25 mai et devra être votée le 8 juin.
Le « mille-feuille »
Il y a beaucoup d’élus en France, plus que dans tous les autres pays européens réunis, principalement en raison du nombre de communes. En revanche, il est vrai que la grande majorité des pays européens comptent au moins 3 niveaux d’administration territoriale correspondant à nos communes, départements et régions. Et ce n’est certainement pas en supprimant la moitié des conseillers généraux (4037 actuellement) et conseillers régionaux (1880) que l’on résoudra ce problème, ni que l’on fera des économies majeures. En effet, la part des indemnités des élus, même si on les juge excessives, est très faible dans le total des dépenses et même si l’on peut regretter parfois une certaine dispersion des crédits et une redondance de certains emplois, les collectivités territoriales ont globalement fait preuve de leur efficacité dans la gestion des services publics : optimisation des achats, optimisation des bases fiscales, contrôle de gestion, mutualisation, fusion, efficience, rentabilité...
S’attaquer au « mille-feuille » permettrait de redonner de la lisibilité pour que nos concitoyens portent à nouveau de l’intérêt aux affaires publiques locales : aujourd’hui, cela me semble être l’enjeu majeur, pour expliquer et donner du sens, car les gens faute de comprendre le monde qui les entoure, ne votent plus, tiennent des discours extrémistes, manifestent beaucoup de défiance par rapport aux élus.
La complexité des besoins des citoyens, la complexité des réponses à apporter en termes d’aménagement, de transports, de services à la population... fait que les réponses institutionnelles, démocratiques, ne peuvent qu’être complexes. Néanmoins, on ne peut pas se contenter d’invoquer « la complexité » pour ne rien faire.
Communes – intercommunalité
L’intercommunalité est cette nouvelle strate qui s’est développée depuis une vingtaine d’années « est réputée coûter cher » (fonctionnement : technostructure, élus, bâtiment …), mais a permis de faire mieux, plus rationnel, intelligent, en répondant à de nouveaux besoins, aux nouvelles exigences, normes….
L’intercommunalité est parfois inflationniste : achat du consensus à coup de subventions, de vice-présidence et d’indemnités, service toujours nivelé vers le haut, nouveaux impôts votés par l’intercommunalité sans que les impôts communaux ne diminuent. Il y a urgence à réformer ce système afin que l’aventure intercommunale ne se termine pas comme l’aventure européenne (sentiment que le citoyen, l’usager n’est pas toujours au cœur des débats).
Il y a également nécessité de revoir les périmètres de certaines intercommunalités : 25 % des communautés comptent moins de 5000 habitants. En dessous de 5000 habitants, une communauté a rarement de réels projets, de moyens humains ou financiers, et vit en général « sous assistance respiratoire ». Le projet de loi supprime une structure (le Pays), mais ajoute 3 structures : les métropoles, les pôles métropolitains et les communes nouvelles.
Jusqu’à maintenant, les élus communautaires étaient élus de façon indirecte. Autrement dit, les citoyens ont bien voté pour eux, mais uniquement pour qu’ils siègent dans leur commune, pas pour être élus communautaires. Or, les décisions, surtout les plus structurantes, se prennent de plus en plus au niveau communautaire.
Dans le projet de loi, les élus intercommunaux seraient élus au suffrage universel direct dans les communes de plus de 500 habitants par fléchage. Les candidats au mandat de conseiller municipal et aux fonctions de délégué communautaire figureraient sur une seule et même liste, les premiers de la liste ayant vocation à siéger au conseil municipal de leur commune et au conseil communautaire, les suivants de liste ne siégeant qu’au conseil municipal. C’est un progrès, y compris en terme de parité, il est néanmoins minime. Il ne permet pas vraiment de faire campagne sur un projet concernant le périmètre de l’intercommunalité avec un Président identifié et élu par les citoyens. On peut penser que ce n’est qu’une étape.
L’achèvement de la carte de l’intercommunalité est un progrès, mais la compétence sur les documents d’urbanisme serait une réelle avancée en matière de cohérence en aménagement du territoire.
Le rapprochement Départements – Régions : le Conseiller territorial
Le conseiller territorial sera une sorte de « super conseiller général ». Ce nouvel élu, au contour abscons, résulte de la non décision de supprimer l’une ou l’autre des collectivités, départementale ou régionale. La réforme risque donc de renforcer les logiques de professionnalisation politique, de notabilisation et de concentration du pouvoir local. Elu dans un cadre infra-départemental, le conseiller territorial sera sans doute moins enclin à dégager un intérêt général régional et à s’affranchir d’une vison purement localiste des enjeux.
De plus, le Conseil régional risque de voir s’éroder sa légitimité et aura du mal à trouver des élus qui porteront des projets d’intérêt régional, transversaux, détachés de la représentation de micro-territoires. La démocratie c’est aussi le projet et le débat, une capacité à s’extraire du territoire et de ses pesanteurs notabiliaires.
Enfin, ce mode de scrutin ferait de fait diminuer encore la part des femmes parmi les élus locaux, car il généralise l’esprit des scrutins cantonaux.
Ainsi, il pourrait être préférable de régionaliser les Départements (scrutins proportionnels, administrations et compétences...) que de départementaliser la Région comme le ferait, de fait, la création du conseiller territorial.
La clause générale de compétence pour les départements et les régions est un outil qui permet d’adapter les politiques aux spécificités locales. Néanmoins, elle contribue également à l’illisibilité du système en permettant à toutes les collectivités de s’investir dans de nombreuses politiques. Ainsi, il paraît logique de spécifier les domaines d’intervention privilégiés si le nombre de collectivités reste tel qu’il est. D’autant plus que les collectivités apparaissent alors souvent comme simple supplétif. En revanche, si on réduit le nombre des collectivités, il semble légitime de réclamer le maintien de la clause générale de compétence.
La fiscalité locale
Curieusement, cette question a été imposée au départ, avant même de débattre sur les compétences. Elle bridait donc le débat et de plus ne permet pas de rééquilibrage, ce qui est pour le moins singulier quand on sait les inégalités qui ont cours entre collectivités. Le principe d’égalité républicaine doit s’appliquer à tous les services assurés par les collectivités publiques.
Or, non seulement l’Etat transfère des compétences aux collectivités sans en transférer les moyens nécessaires, mais en plus les ressources financières des territoires sont très inégales. Le renforcement de la solidarité financière entre les collectivités est un impératif. Il s’agit également de revoir les bases foncières des impôts « ménage » particulièrement injustes et « périmés ».
Le cumul des mandats
Ce sujet pose énormément de difficultés de principe et pratique. Au lieu d’être partagé, le pouvoir est concentré dans les mains de quelques uns. Un certain nombre de parlementaires, en plus de leur travail législatif doivent assurer la gestion quotidienne d’une grande collectivité territoriale dirigent plusieurs syndicats, SEM, associations, établissements.
On peut penser que toutes ces responsabilités, mieux partagées, seraient aussi mieux assumées, tout en ouvrant la voie à ceux qui sont exclus de l’exercice des responsabilités. Permettre la participation d’un plus grand nombre de citoyens aux affaires publiques est une condition du renouveau de la vie démocratique.
Réforme du Sénat
Là encore il est étrange que, alors que cette assemblée est sensée représenter les collectivités territoriales, la question ne soit pas abordé dans le projet de réforme. Le Sénat joue un rôle fondamental, mais est également une anomalie démocratique en raison de son mode de désignation.
Grâce à son pouvoir législatif le Sénat peut faire échouer les réformes proposées par l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale peut, elle aussi, faire échouer une réforme (et ce n’est pas parce qu’on appelle un texte « réforme » qu’il est forcément bon). La différence est que l’Assemble nationale, qu’on partage ou non les vues de sa majorité, est l’expression de la démocratie, du peuple. Le Sénat, lui, n’a pas cette même légitimité.
Analyse limpide et qui ne s'empêtre pas des multiples précautions oratoires habituelles des élu-e-s socialistes sur ce sujet.
La difficulté de l'exercice est bien sûr de poser l'hypothèse de la disparition du Conseil général quand on est soi même Conseillère générale. Sur ce point je note que Barbara Romagnan n'est pas arque-boutée sur une position défensive et replace le sujet du point de vue du citoyen.
Un argument du débat souvent évoqué est de dire que la plupart des pays européen ont 3 niveaux de collectivités territoriales tout comme nous. Sauf que, en réalité, nous en avons 4, en incluant l'intercommunalité (et parfois plus comme à Lyon où se rajoute l'arrondissement urbain) Une réforme est donc bien nécessaire.
Une fois cela posé, il faut être conscient des multiples pièges et arrières pensées du législateur et notamment son projet d'affaiblir le PS dans ses bastions locaux.
Rédigé par : laurent j | 02 juin 2010 à 12h11